Jean Moulin

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Du temps où Jean Moulin était Breton, sous-préfet et artiste

Jean Moulin, le célèbre résistant, a été sous-préfet de Châteaulin (Finistère) de 1930 à 1933. Un passage breton durant lequel il fréquente les artistes Max Jacob ou Saint-Pol-Roux, aux côtés desquels il se révèle excellent dessinateur et graveur. Un pan secret de sa personnalité, effacé par une action politique encore plus forte. Rencontre avec André Cariou, auteur de « Jean Moulin, les années bretonnes » et ancien conservateur du musée des Beaux-Arts de Quimper.

Quelques semaines avant Noël, ça devait être l'une des plus belles sorties de l'année 2020, pour l'éditeur châteaulinois, Locus Solus. Elle a été gâchée par le second confinement et la fermeture des librairies, dites alors « non-essentielles ».

Le livre Jean Moulin, les années bretonnes, écrit par l'ancien conservateur du musée des Beaux-Arts de Quimper, André Cariou, est sorti en catimini. Dommage car l'ouvrage de 256 pages, riche d'illustrations et de photos d'époque, évoque tout un pan méconnu de l'histoire du célèbre résistant, mort en juillet 1943, dans un convoi qui l'emmenait en Allemagne, sans avoir rien livrer à ses tortionnaires. Celui de Jean Moulin artiste.

Châteaulin, « ville endormie »

« Les deux aspects, politique et artistique, de sa vie ne sont pas comparables, explique André Cariou. Mais son action politique est tellement forte qu'il était impossible pour les visiteurs du musée de Quimper d'imaginer que ce qu'ils voyaient étaient l'œuvre du résistant. C'était inconcevable. »

Après des années en Savoie, sans éclats, le passage à Châteaulin est révélateur pour le jeune fonctionnaire qu'est alors Jean Moulin. « On disait qu'il était le plus jeune sous-préfet de France dans la plus petite sous-préfecture de France », rapporte André Cariou.

À 31 ans, Jean Moulin arrive en voiture de sport dans « une ville endormie ». L'impression est violente pour cet homme « très beau, jeune, qui adore le sport et les arts ». Il l'écrit à sa famille. Travailleur et exigeant, Jean Moulin se plonge rapidement dans ses fonctions. « Il s'affirme comme un politique aguerri et conscient des enjeux de son temps, explique André Cariou. Une vraie personnalité. »

Amoureux des paysages et pardons

Jean Moulin parcourt alors tous les recoins de sa circonscription, qui va de Camaret-sur-Mer à Carhaix, se prend de passion pour la nature et les paysages exceptionnels et d'empathie pour les habitants, achète du mobilier breton. Il fréquente les pardons en toute discrétion et anonymat. « Celui de Sainte-Anne-la-Palud, à Plonévez-Porzay, attire toute son attention, explique André Cariou. Impressionné par le nombre d'estropiés de la Première Guerre mondiale, il croque de nombreux portraits de ceux qu'on appelle alors les gueules cassées. »


L'ami de Max Jacob et Saint-Pol-Roux

Entre-temps, Jean Moulin a découvert l'œuvre de Tristan Corbière. C'est l'étincelle. Intéressé par les arts, il accède vite aux artistes qui se sont établis dans le coin, par l'intermédiaire du secrétaire de mairie de Châteaulin, Jean-Baptiste Lucas. Max Jacob à Quimper, le poète Saint-Pol-Roux à Camaret-sur-Mer et le peintre Lionel Floc'h, installé à Douarnenez, sont bientôt des amis.


La « culture du secret », déjà

Celui qui publiait jusqu'ici quelques dessins dans des revues parisiennes, sous le pseudonyme Romanin, se révèle un excellent dessinateur et graveur. « Jean Moulin n'était pas un de ces peintres, avec chevalet installé devant la scène. C'était quelqu'un qui va vite, qui saisit sur le vif. Un chroniqueur de l'instantané. »


Durant trois années, il crée en toute discrétion. Mais personne ne sait que derrière le pseudo se cache le sous-préfet. « Il avait déjà cette culture du secret, une grande maîtrise de soi. »

Homme de caractère et libre penseur, Jean Moulin ne s'entend pas avec le nouveau préfet du Finistère qui arrive en 1932. Il demande sa mutation. « À son départ, il laisse un mois de salaire pour les pauvres et enfants de Châteaulin, raconte André Cariou. Sans rien dire à personne. » Il laisse aussi une œuvre, collectée par sa sœur adorée, Laure. Une œuvre peu conséquente mais de grande qualité.

Le livre est une version augmentée et actualisée de l'ouvrage paru en 2005, aux Éditions Ouest-France, sous le titre Jean Moulin en Bretagne, le sous-préfet artiste et ses amis écrivains et peintres.

Jean Moulin : que sait-on de son aventure de quarante mois en Bretagne ?

Dans le cadre du 80e anniversaire de sa disparition, le Finistère commémore la mémoire du célèbre résistant Jean Moulin. Son expérience en tant que sous-préfet de Châteaulin, de 1930 à 1933, lui a permis de s'affirmer « comme un politique aguerri ». Une aventure également marquée par des rencontres avec des artistes tels que Max Jacob, Lionel Floc'h ou encore Saint-Pol-Roux.

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« Peu avant Quimperlé, le soleil s'est levé pour faire mentir, sans doute, la légende du Finistère gris et sans soleil. Quimper est une gentille petite ville, traversée par une charmante rivière, l'Odet. C'est plein de pittoresque, avec de vieilles maisons boisées et des tas de gens en costume breton. » C'est avec ces mots que Jean Moulin décrit son arrivée en Finistère, sur une carte adressée à ses parents depuis Quimper et relaté dans le livre Jean Moulin, les années bretonnes, d'André Cariou. Nous sommes le 1er février 1930. Celui qui deviendra, quelques années plus tard, un célèbre résistant roule à bord de son Amilcar grand sport pour rejoindre la ville de Châteaulin, où il vient d'être nommé sous-préfet. Âgé de 31 ans, il est alors le plus jeune sous-préfet de France.

Dans le cadre du 80e anniversaire de sa disparition, l'exposition Jean Moulin, une vie d'engagements, est présentée à la préfecture du Finistère jusqu'au 21 avril 2023. Elle sera ensuite accueillie à la mairie de Quimper, à partir du 2 mai, pour poursuivre le cycle commémoratif. D'autres événements seront organisés tout au long de l'année dans le département.

« Un politique aguerri »

Selon l'auteur et ancien conservateur du musée des Beaux-Arts de Quimper, André Cariou, les années passées à Châteaulin permettent à Jean Moulin de s'affirmer « comme un "politique" aguerri et conscient des enjeux de son temps. Une vraie personnalité va se dévoiler durant les quarante mois de son séjour breton ». Toutefois, au début, dans cette petite ville du Finistère, il s'ennuie. Il écrit à ce propos dans une lettre datée du 6 mars 1930 : « Châteaulin n'offre pas beaucoup, je dirai même pas du tout de ressources, aussi je ne sors guère sinon pour aller matin et soir au restaurant où l'on nous sert une tambouille pas très soignée. L'arrondissement est d'un calme plat. » À l'époque, il compte 115 000 habitants, répartis en 62 communes.

« Spécimen hors classe d'humanité »

Jean Moulin profite de son temps libre pour lire. Il découvre la poésie de Tristan Corbière qui le passionne. Très vite, il réussit à s'introduire dans un groupe d'artistes, notamment par le biais du médecin et artiste quimpérois Augustin Tuset (1893-1967). Il se lie aussi d'amitié avec le poète originaire de Marseille Saint-Pol-Roux, installé à Camaret-sur-Mer, auquel il rend régulièrement visite dans son manoir, le peintre Lionel Floc'h, installé à Pont-Croix, ou encore le poète et peintre quimpérois Max Jacob. Ce dernier aurait qualifié Jean Moulin de « spécimen hors classe d'humanité ».

« Un homme d'une profonde sensibilité »

Pendant son séjour en Bretagne, le haut fonctionnaire continue de dessiner. Il publie ses dessins humoristiques dans différents journaux, sous le pseudonyme de « Romanin ». Il illustre des poésies de Tristan Corbière, apprend différentes techniques de la gravure. En 1932, il réalise une pietà en faïence de Quimper, acquis par le musée des Beaux-Arts de la ville en 2002. « Derrière celui qui allait devenir un héros de la Résistance se cachait un homme d'une profonde sensibilité », expliquait à Ouest-France André Cariou.

L'aventure bretonne de Jean Moulin prend fin au début de l'année 1933. Il ne s'entend pas avec le nouveau préfet du Finistère et demande sa mutation. Il est nommé sous-préfet à Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie.