Noël Arhan

Noël Arhan

Noël Arhan est né à la Cale le 1er août 1924, dans la maison où ses grands parents avaient créé le café-restaurant, terminus de la « patache » de Pont-L'Abbé, devenu aujourd'hui le Café du Port. Sa mère Estelle y est née également, et y a travaillé avant d'épouser pendant la Première Guerre mondiale son cousin Jean-Marie, commissaire des Douanes. Bien que celui-ci, mobilisé dans la Marine, ait été grièvement blessé dans les combats des Dardanelles, le jeune ménage investit après la guerre dans la construction d'un nouvel hôtel au haut de la rue du Port, et s'y installe quand Noël n'a encore que 14 mois. Mais en 1931 Jean-Marie décède prématurément des suites de ses blessures de guerre, laissant à Estelle la charge de l'hôtel et le statut de « veuve de guerre », tandis que Noël devient « pupille de la Nation » par jugement du 6 août 1932. Tout ceci n'est sans doute pas étranger au sens précoce des responsabilités que manifeste le jeune garçon. Ses études, à Loctudy puis à Saint Gabriel, le conduisent au brevet élémentaire quand la guerre, à nouveau, vient en interrompre le cours.

Si l'événement ravive déjà chez les Arhan des souvenirs pénibles, on peut imaginer ce qu'il en est du cataclysme qui se produit en mai 1940, quand l'armée française s'écroule sous le déferlement des forces ennemies. Alors qu'à Loctudy tous les hommes sont encore mobilisés, le premier détachement motocycliste allemand surgit le 20 juin 1940 dans un bourg bien vide, sans qu'aucune résistance ne lui soit opposée. Bientôt des soldats descendent de camions et s'installent à l'hôtel Arhan, comme dans tous les autres hôtels de la station balnéaire.

Premiers engagements d'Estelle Arhan et de son fils Noël dans la Résistance.

Alors qu'une large fraction de la population masculine, maris, fils ou grand-frères prisonniers de guerre, est encore absente, Loctudy héberge près de 2000 réfugiés venus du nord de la France et de la région parisienne. C'est le temps des pénuries et des tickets d'alimentation, privation de pain pendant six mois, essence rationnée... On comprend qu'en dépit du fort ressentiment suscité par l'irruption arrogante des troupes d'occupation, la priorité soit d'abord à la survie au quotidien, en attendant des jours meilleurs... sous la direction du Maréchal. Difficile de savoir qui aurait pu entendre, le 18 juin, ce général inconnu prétendant poursuivre la lutte depuis Londres ! La réaction d'Estelle Arhan n'en est que plus qu'exceptionnelle.Sa réprobation de veuve de guerre se manifeste d'abord par des gestes hostiles. 

A l'approche de l'hiver, quand l'hôtel est habituellement fermé, elle refuse que ses hôtes forcés n'y installent des poêles, en prétextant les risques d'incendie. Quant à la nourriture, madame Arhan mère et la fidèle employée Marie Cariou en font leur affaire, en se bornant à réchauffer de grosses gamelles préparées à l'hôtel des Bains. Selon Marie : « une vraie nourriture de cochons, des patates trempant dans de la flotte avec du chou ».  

Mais l'engagement d'Estelle n'en reste pas là. On sait qu'en Bretagne, les premières actions organisées de Résistance se sont articulées autour du renseignement dont le gouvernement anglais, confronté au projet hitlérien d'invasion Seelöwe, a fait une priorité. C'est l'origine des premiers réseaux, organisés par l'Intelligence Service britannique, tels que le réseau Johnny dans le sud Finistère, dont l'un des membres localement les plus actifs est le capitaine de la Marine marchande Pierre Dréau de Lesconil. En septembre 1941, Dréau assure lui-même dans des conditions périlleuses une liaison avec un sous-marin anglais au large des Glénan à bord du Voltaire, une barque de 5m50 qu'il a louée à Louis Autret de Larvor. Mais dix jours plus tôt un premier drame s'est produit à Carhaix, où deux opérateurs radio de Johnny ont été surpris en pleine séance d'émission. Le groupe local y est démantelé, les dirigeants du réseau contraints à l'exil, et les derniers rescapés seront définitivement éliminés après une nouvelle trahison en février 1942. Dréau, pratiquement le seul à en réchapper, se retrouve complètement isolé et sans contacts avec Londres.

Estelle Arhan le connait bien, mais c'est par une autre voie qu'elle devient la première femme de Loctudy à s'engager dans la Résistance. Dès juillet 1941, les archives témoignent de son adhésion au réseau Adolphe - Buckmaster comme agent P1, avec mission principale « d'hébergement, boîte aux lettres ». Ce réseau, également issu du Special Operations Executive britannique, a ses racines dans le Loir et Cher, où il a été fondé par le receveur des PTT Pierre Culioli. On ignore comment celui-ci en est venu à créer une section à Quimper, et comment Estelle Arhan est entrée en contact avec lui, mais on peut très bien imaginer qu'il ait été avant le conflit un client de l'hôtel. Il écrit à propos d'Estelle dans une enquête d'après-guerre : «anti-allemande de la première heure, s'est mise immédiatement et sans réserve au service de la Résistance, amenant le concours de son fils comme agent de liaison à bicyclette ».

Ce texte confirme aussi l'engagement précoce de Noël, introduit par sa mère au réseau Adolphe. Les archives le mentionnent comme « agent P2, Chef du groupe Loctudy », avec pour fonction : « passeur en Angleterre par bateau, renseignements, liaisons ». On ne connait pas grand-chose de ses premières activités, par nature clandestines, mais on sait qu'il a été missionné en septembre 1941, après l'alerte au réseau Johnny de Carhaix, pour aller y récupérer un poste émetteur et le ramener sur le porte-bagages de son vélo dans une cache de Rosporden. Il vient alors d'avoir 17 ans !

Ceci illustre l'interaction qui peut régner alors entre organisations, un même agent pouvant appartenir à plusieurs réseaux, simultanément ou successivement. Ainsi Estelle et son fils sont-ils inscrits au réseau Adolphe jusqu'au 31 mars 1943. Mais en même temps, ils participent au réseau Castille - Confrérie Notre-Dame du colonel Rémy, l'occasion leur en ayant été donnée sans doute par les contacts de plus en plus fréquents de Noël avec le brigadier Ricco de Rosporden. Noël figure dès 1942 au fichier de la CND comme agent n° 89.117, pseudonyme Dauphin, responsable de toute la zone Quimper-Carhaix.

Le sauvetage des aviateurs américains Ryan et Blakemore

C'est alors qu'intervient l'événement évoqué en introduction de cet article. Dans l'après-midi du 6 mars 1943 un bombardier américain B17, touché par la Flak lors d'une mission sur Lorient, vient s'écraser au nord de Plonéour-Lanvern. L'équipage a pu sauter en parachute, malheureusement dans une zone soumise à une forte densité d'occupation, et sept aviateurs sont immédiatement capturés par les troupes allemandes. Plus tragiquement, le jeune copilote Gerald Simmons est froidement abattu dès son arrivée au sol. Il ne reste finalement que deux rescapés : le mitrailleur Glenn Blakemore et le commandant de bord John Ryan, qui parviennent à se dissimuler avec l'aide de la population locale. Reste à les éloigner aussi vite que possible des lieux de leur atterrissage.

Noël Arhan est contacté par un résistant de Pont L'Abbé pour organiser l'exfiltration de Blakemore, caché depuis deux jours dans un champ de colza de la ferme Crédou à Lestiala en Plomeur. Il s'y rend aussitôt à vélo, et doit ramper lui-même entre les plants de colza pour fournir à l'Américain un habit civil, qu'il parvient à lui faire enfiler malgré la différence de taille ! Le lendemain, il revient sur place avec son ami Georges Caillaud, professeur d'anglais au « lycée Papillon » de Ker Kerec, et Pierre Dréau qui apporte une bicyclette supplémentaire. La nuit venue, c'est un cortège bien insolite qui prend la route de Loctudy autour du géant Blakemore, engoncé dans un costume trop étroit et chevauchant une bicyclette trop petite pour lui ! L'équipe met à profit le couvre-feu, pendant lequel les allemands eux-mêmes ne sortent pas. Peu après le passage délicat de Kerhervant, Estelle les accueille dans son hôtel avant qu'il ne fasse jour.

Le périple du commandant Ryan est plus compliqué. Resté le dernier aux commandes de l'avion, il a sauté à l'écart des autres et a pu s'éloigner par lui-même, malgré une clavicule cassée à son atterrissage. Pendant une longue semaine, il se dissimule de ferme en ferme autour de Plonéour, pour parvenir au terme d'une odyssée de près de 20 km au manoir de la Coudraie en Tréméoc, dont le propriétaire Maurice de Pourtalès est en lien avec la CND. Appelé à nouveau à la rescousse, Noël accourt, cette fois plus confortablement dans la voiture à gazogène du docteur Souben de Pont L'Abbé qui bénéficie d'un ausweiss pour ses visites médicales. Ramené en moins d'une heure à l'hôtel de Loctudy, Ryan a la surprise d'y retrouver son équipier arrivé la veille. Ils vont rester deux semaines dans ce havre accueillant, jusqu'à ce qu'une alerte soudaine, au matin du 22 mars, n'oblige à les évacuer en toute urgence vers une autre maison amie de Pont Aven.

Avril - septembre 1943, coopération avec Pierre Dréau au sein de la CND.

Cet épisode a renforcé les liens de la famille Arhan avec Pierre Dréau, qui adhère à son tour à la CND, sous le n° 89411, pseudonyme Henri. Désormais, ses activités sont étroitement liées à celles de Dauphin pour des missions de toutes sortes : transmissions radio, recrutement, reconnaissance de terrain... Pour Noël, elles se traduisent surtout par un nombre incalculable de déplacements risqués, toujours à bicyclette, dans un rayon allant jusqu'à Carhaix et Pont Aven, avec le plus souvent sur son porte-bagages un émetteur radio qu'il faut sans cesse déplacer pour échapper à la goniométrie. Il se rend aussi fréquemment à Rosporden, pour assurer le lien avec le brigadier Ricco, ou à Rudeval en Riec-sur-Belon d'où émet Alain Berthou, autre opérateur de la CND. Selon les témoignages de Marie Cariou et de Paul Abgrall, son voisin loctudiste, il est probable qu'il ait été lui-même initié au « pianotage » de l'émetteur, pour suppléer à l'occasion au manque d'opérateur.

Quand le colonel Rémy, trop compromis en France, doit se réfugier en Angleterre, le chef de la région Bretagne-Cotentin Alex est appelé à lui succéder à Paris. Jean Sciou, pseudo Faucon, le remplace sur place. Il réorganise le réseau en sept sections sous le nouvel indicatif Côtre, en confirmant Dauphin comme responsable de la section Quimper - Carhaix.

Mais le 5 novembre 1943, nouvelle catastrophe ! A peine en fonction à Paris, Alex est pris dans un piège tendu par la Gestapo et tué sur place. La Gestapo ne traîne pas pour exploiter les archives tombées sous sa main, et conduit aussitôt une série d'arrestations à Rennes, Concarneau, Pont Aven, bientôt Saint-Guénolé. Le soir du 12 novembre, un message de Radio-Londres enjoint : «Tempête sur l'ouest, Henri et Dauphin sont priés de gagner immédiatement la campagne». Noël se réfugie à Pont-L'Abbé dans la famille du négociant en vin Bastien Volant tandis que Dréau, s'estimant en sécurité, reste sur place à Lesconil.

Refuge dans la clandestinité, la mort en service commandé.

Pendant encore deux mois, tous deux s'efforcent de poursuivre leur mission dans la clandestinité, en assurant d'abord les liaisons radio. Avec l'aide de David, un autre rescapé du réseau rencontré à Quimper, ils reprennent les émissions à partir de Lesconil, puis à Penmarc'h, et enfin dans une sorte de grotte qui surplombe les Virecourt de l'Odet, pour transmettre des renseignements sur les convois maritimes qui remontent vers Brest. Un cargo de 20 000 tonnes qu'ils ont signalé au mouillage entre les Glénan et Concarneau est attaqué quelques heures plus tard par des chasseurs Mosquitos. Le cargo explose : il était bourré de torpilles.

Mais en janvier 1944, Noël manque de se faire prendre en gare de Quimper en compagnie de sa correspondante de Pont-Aven Clémence Barbarin (Mimosa). Ils réussissent à semer les deux policières qui les pistent. Sur les conseils de Dréau, Noël décide de partir se cacher dans l'anonymat de la capitale, où il a de la famille.

Commence alors une période particulièrement difficile. A peine arrivé à Paris, Noël est abordé par un agent de police nommé Rousseau, soi-disant ami d'Alex. Mais il s'en méfie, et se dérobe. Il renonce aussi à prendre contact avec sa propre famille pour ne pas la mettre en danger. Se sentant toujours activement recherché, il doit se réfugier dans des logements précaires, changeant constamment de domicile, sans donner d'adresse à personne. Il recherche un contact qui lui permettrait de passer en Angleterre, par l'Espagne ou par avion clandestin, mais sans résultat.

De plus en plus affaibli, sans argent, sans carte d'alimentation et sans pouvoir recevoir d'aide, il finit par contracter un mauvais abcès dans la gorge, sans oser sortir de son gîte malgré ses souffrances. Il parvient à écrire une lettre à Dréau, avant de se décider à consulter un médecin début avril. Mais sans sulfamides ni antibiotiques pour juguler l'infection, il est déjà trop tard. Transporté d'urgence à l'hôpital Necker, il sombre dans un délire comateux où le médecin qui le soigne l'entend prononcer « Je suis à la barre du bateau... En route pour l'Angleterre... l'Angleterre... ». Il meurt le 6 avril 1944 d'une septicémie foudroyante, à quatre mois de ses 20 ans.