Pierre Coquil

Pierre Coquil, dernier Finistérien survivant de Diên Biên Phu

Le Télégramme:  David Cormier - Publié le 07 février 2021

Pierre Coquil, 93 printemps le 5 mars, est le dernier Finistérien revenu de Diên Biên Phu, célèbre défaite française en 1954, en Indochine. Début de la fin, dit-on, de l'empire colonial français. Il a écrit un livre sur sa vie, « De Collorec à Collorec », en centre Finistère.

« Et dire que nos femmes croient que l'on s'amuse », dit Michel Brugnière à Pierre Coquil, en ce 8 mai 1954, à une heure du matin, alors qu'ils viennent de tomber aux mains du Viêt Minh à qui ce qu'il restait de leur troupe tentait d'échapper, traversant une rivière, voulant franchir la montagne les séparant du Laos. La cuvette de Diên Biên Phu prise, les hélicos ne pouvant plus y atterrir depuis des jours, ils se savaient « faits comme des rats », sous le feu des orgues de Staline dépêchés par l'URSS. Et le Finistérien de répondre à son ami : « La mienne est peut-être en train d'accoucher ».

« C'était marche ou crève »

Ce jour-là, effectivement, à Carhaix, naît Michel, premier enfant (trois autres suivront) de Pierre et Marguerite, loin de connaître le triste sort de son époux. À Collorec, dans le centre Finistère, il voyait passer cette fille, « cheveux au vent, allant avec ses vaches au Warem vraz ». Soldat, en région parisienne et en Afrique, âgé de 23 ans, « déjà vieux ! », il l'avait revue au village et demandée en mariage. Du haut de ses 18 ans pas encore sonnés, quand la majorité était fixée à 21 ans, elle avait tenté de le raisonner : « et si tu disparaissais au combat ? Et si j'avais un enfant ? ». Elle avait dit oui, toutefois. L'union avait été scellée les 14 et 15 avril 1952. Elle sera restée des mois durant sans aucune nouvelle, pendant le siège et la captivité.

600 bornes de marche en une vingtaine de nuits, dans l'humidité, mal nourris. « C'était marche ou crève ! » Dans le camp, près de la frontière chinoise, la dysenterie tue, elle aussi. Pierre, qui n'a « perdu que dix kilos », s'en sort bien, encore. Les accords de Genève permettent sa libération à la mi-août et son retour à Marseille par bateau.

« Mes âneries » et « mon rôle de bouche-trou »

À l'étage de sa maison brestoise, ville où il vit depuis 1956 avec « Guite », qui l'écoute encore avec attention, Pierre garde précieusement ses médailles militaires et cette vieille valise, lourde de ce qu'il appelle ses « âneries », ses mémoires en fait, classées dans des dossiers souples à intercalaires, et d'une petite armée de vieux échanges épistolaires. Olivier Polard, professeur d'histoire à Plabennec, a « apporté des améliorations mais c'est Pierre qui a tout écrit ». On ne s'en étonne pas, tant l'homme décline sa vie dans une rigoureuse chronologie truffée de détails hallucinants de précision.

La mémoire est intacte mais il faut lui parler fort. Séquelle du 23 mars 54 à Diên Biên Phu. Trimballé de poste en poste, « j'ai toujours joué les bouche-trous, dans l'armée », glisse-t-il avec malice. « Là, il fallait aller boucher une tranchée ouverte par l'ennemi ». Le Dodge 6x6 a sauté sur une mine, le projetant à plusieurs mètres, abasourdi, n'entendant plus. L'explosion a tué neuf hommes dont trois sous-officiers, blessé une quinzaine d'autres. Notamment des tirailleurs algériens. Son regard clair, d'ordinaire pétillant, s'embue à l'évocation d'un ami disparu, du courage de son épouse, sa gorge se nouant par instants, seul et bref obstacle à son récit.

« Mais le progrès nous a sorti du chemin... »

« Au départ, il s'agissait de faire un livre pour la famille », raconte Olivier Polard. On apprend là que ce sont deux des petits enfants de Pierre Coquil, Aurélien et Clément, qui ont quitté leurs emplois pour créer le Musée Mémoires 39-45 à Plougonvelin, près de la pointe Saint-Mathieu, il y a bientôt quatre ans. « Mais ce livre, sorti jeudi, qui raconte aussi une jeunesse dans la campagne bretonne au milieu du XXe s, peut intéresser d'autres lecteurs. Nous l'avons tiré, pour l'instant, à 200 exemplaires », annonce l'historien.

« De Saint-Guénolé au bourg de Collorec, il n'y a pas trois kilomètres. Ma vie aurait pu se dérouler sur ce chemin, aux confins de notre montagne bretonne. Entre prairies et fontaines, dans une campagne vivante, où chacun connaissait ses voisins sur des kilomètres à la ronde », écrit Pierre Coquil. « Mais le progrès nous a sorti du chemin ». Collorec, c'est là aussi qu'après avoir connu la capitale, le Sénégal, l'Indochine, l'Algérie, la Nouvelle-Calédonie, Pierre Coquil reposera. Le plus tard possible. Et en paix.

Pratique

« De Collorec à Collorec, en passant par Dien Bien Phu », 130 pages, 15 euros, par Pierre Coquil, aux éditions de la Carrée. Disponible chez Dialogues à Brest, à l'Espace culturel Leclerc de Gouesnou et sur le site de l'éditeur : editionscarre.com